Internationale Situationniste, Numéro 5
décembre
1960

L’opinion commune sur l’I.S., cette année

(revue de presse)

Allemagne

Les gens du groupe de Munich (“Spur”) suivent en courant les situationnistes internationaux (chef : A. Jorn) ... Courageux en paroles, ils ne courent pourtant pas assez vite, handicapés par leur mentalité pesante. Vouloir ; pouvoir : quel contraste !

Vernissage, octobre 1960.

Mais quelle intention ont donc les jeunes Samson quant au remplacement de l’ordre corrompu qu’ils veulent abattre ? Ici, ils s’en remet tent à l’organisation des situationnistes, à laquelle ils appartiennent en groupe. Ils citent le manifeste du 17 mai 1960 ... C’est évidemment quelque chose d’international, qui a tenu un Congrès, international naturellement, en 1959. De quoi s’agit-il ? “Les artistes”, dit le manifeste, “en sont venus à être entièrement séparés de la société, comme ils sont séparés entre eux par la concurrence.” Voilà qui est bien dit ! Et dans cette situation, nos situationnistes découvrent l’origine des maux notés plus hauts. En contrepartie, Guy Debord et ses amis s’imaginent réaliser une “culture situationniste”, qui exigerait une “participation générale” de chacun. Au lieu des objets conservés, l’art serait “communauté du moment directement vécu”, une création universelle et anonyme. Cela supposerait, on s’en doute, “une révolution du comportement” ... Il y a réellement beaucoup de signes d’une insatisfaction croissante, d’une “crise de la culture”. Mais les buts des rebelles ne diffèrent pas tellement entre eux. Avant de définir la monochromie comme une polémique improductive — ne sont-ils pas eux-mêmes des polémistes ? — les partisans de “Spur” devraient étudier le théâtre de Gelsenkirchen, et les manifestes d’Yves Klein. Le “gouvernement de la sensibilité” n’est pas aussi loin qu’ils le pensent de leur “culture situationniste”. Seulement, elle a été inventée avec beaucoup plus de précision.

John Anthony Thwaites, « Pionniers Furieux » (Deutsche Zeitung, 23-9-60).

Pour sortir de cette impasse, ce jeune groupe ne voit qu’une alternative : renoncer à la peinture comme art individuel pour l’employer dans un nouveau cadre « situationniste ». Quel mot monstrueux ! De tels manifestes sont intéressants en tant que symptômes de l’inquiétude et du malaise. Celui-ci contient aussi des vérités de détail, mais ses auteurs se tiennent trop près des phénomènes et des slogans, de sorte que la vérité leur échappe.

Fritz Nemitz (Die Kultur, octobre 1960).

France

Par delà les réalisations de leur esthétique “critique”, les protagonistes de ce mouvement ont envisagé théoriquement le troisième horizon, dans lequel au lieu que la peinture cherche à se dépasser soi-même, elle accepte d’être dépassée et remplacée par un art universel et plus concret. Le développement de la technique n’est-il pas apte, en effet, à susciter de nouveaux ensembles structurels, non plus imagés, mais concrets, sous la forme de nouvelles situations ? Leur rapport direct avec l’action comblerait le vide de l’ancienne immédiateté, perdue. Mais ce n’est encore là qu’une vue de l’esprit.

Françoise Choay (Arguments, n° 19, octobre 1960).

Les recherches de la culture (des matières et des formes artistiques, des mécanismes philosophiques et des vérités scientifiques sur l’homme et la nature) représentent un effort long et patient et toute rupture avec cet ensemble de connaissances ne peut signifier qu’un retour à la barbarie ...

Or, certains intellectuels incapables d’intégrer leur vision vague et fausse — contredite par l’expérience — dans la culture, préfèrent reje ter la culture plutôt que de réviser leurs concepts et de se réviser euxmêmes... Les situationnistes qui prétendent, au nom de l’organisation de la société future, rompre avec les éléments de la culture passée et même les rejeter pour leur substituer brutalement des valeurs “vitalistes”, sous-sous-culturelles, ne sont même pas des marxistes, mais pire, des troglodytes.

Je dis pire, car nous quittons alors le marxisme le plus bas, pour rejoindre carrément le fascisme, la réaction répétée sous différents prétextes, que nous avons connue depuis le calife Omar et l’anéantissement irré parable de la bibliothèque d’Alexandrie, jusqu’à l’anti-culture d’un Goering. À condition d’accroître sa force sociale, l’Internationale situationniste, comme d’autres “néo” prolétariens ou nationalistes, peut essayer d’étouffer, quelque temps, de l’extérieur, la progression intrinsèque de la culture, mais finalement la recherche des disciplines de la connaissance rejettera et punira nos réactionnaires ignorants, comme elle en a rejeté et puni d’autres, dans le passé.

Et lorsqu’on constate combien d’années durent des fautes aussi frap pantes que le nazisme, le communisme ou, à un niveau de propagation plus limité, l’expression situationniste, qui a anéanti inutilement tant d’énergies, je comprends que certains veuillent m’engager à perdre un peu de mes forces pour dévoiler d’aucunes impostures.

Poésie Nouvelle, Numéro Spécial sur l’I.S. (N° 13, octobre 1960).

L’égocentrisme mégalomane, sur le plan des rapports entre artistes. aboutit à une volonté de dépassement des autres en prenant garde de ne pas se faire englober soi-même. Je l’ai déjà écrit et dit.

Robert Estivals, « Lettre à Debord sur les conséquences de la mégalomanie ... » (Grammes, nᵒ 5)

Canada

Eh bien ! Non ! Je me refuse à soupçonner une pensée profonde der rière des phrases creuses et des expressions qu’on emploie sans en savoir le sens exact ... Il est vraiment nécessaire de s’y mettre à plusieurs pour massacrer la langue française aussi allègrement et avec une pareille assurance. Il faudra pourtant en finir un jour avec ces pseudo-intellectuels d’une fausse avant-garde qui en sont encore à se montrer “leur pipi”. Quand on s’embarque dans une Critique pour une construction de situation, on risque d’aller loin, surtout avec le timonier Patrick Straram qui y publie des textes refusés ailleurs, sans se demander si ses petits écrits n’auraient pas été refusés, non pas à cause de leur audace, mais tout simplement parce qu’ils sont insignifiants et pitoyables.

Jean-Guy Pilon (Liberté 60, n° 9-10, été 1960).

Je me bute à un vocabulaire à la fois farfelu et déjà sclérosé, qui ne parvient tout de même pas à renouveler tant de lieux communs. Je constate, une fois de plus, ce désir plus ou moins conscient d’une sécurité intellectuelle que donnerait un autre système scolastique — auprès duquel la terminologie et le contexte de la pensée médiévale paraissent la fraîcheur et la spontanéité mêmes.

Clément Lockquell (Le Devoir de Montréal, 16-7-60).

Je ne saurais dire à quel point j’ai été déçu. Le ton y était, les mots ce pendant laissent tout un paysage à ré-inventer. Et cette Internationale situationniste qui n’a d’international que le titre. La vie est trop cruelle pour qu’on se prenne ainsi au sérieux. Le surréalisme était vrai, le situationnisme reste une construction de quelques esprits cultivés ... Mais il faut parler clair. Hénault, Miron, Portugais, Lapointe, Dubé parlent clair. Mais ils ne semblent pas situationnistes et ne sont qu’appendices au cahier de Patrick Straram. Nous commençons d’apprendre à disso cier nos problèmes sexuels et personnels de ceux de notre peuple. À préférer le peuple ... Tout dire, mais parler clair. Alors seulement, nous inventerons ce paysage pour que d’autres y puissent vivre. Nos enfants par exemple.

Jacques Godbout (Liberté 60, n° 9-10).
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