CONTEXTXXI Nº 2
mars
1996

L’arrêt du temps ou Le temps des villes

poèmes — Alexis Emanuely

La ville est lourde

La ville est lourde
comme la neige
et le temps tue
toutes mes habitudes
toutes mes pierres
toutes mes amours
 
Une rayure sur un disque
crée des rythmes imprévus
la neige danse
et me salue
d’un clin d’oeil malhonnête
 
La ville est lourde
comme un oiseau
et les mots deviennent du fumier
et les poubelles des oreilles
et les yeux des fenêtres
qui dorment
 
Ame inconnue
parente de ma solitude
 
Colombe grise
sors de mon nid
sors de tes rêves
 
La ville est lourde
comme la poussière
 
Et sur des bancs en bois
des lémures en fourrures dorées
font leur sieste
tandis que des chiens chassent
les derniers esprit libres et mystérieux
 
Sur les pavés
les cadavres de la suffisance
trahissent la poussière révoltée
qui n’a plus la chance de revivre
ses habitudes
ses pierres
ses amours
tuées par le temps

Nostalgie nocturne

Nostalgie nocturne
grand vide et grand silence
au fond des verres vidés
la fumé qui s’enfuit doucement
de tes fenêtres
s’introduit dans un désert
de larmes et de pierres
 
Nostalgie nocturne
les yeux fermés te voient
fille noire du petit jour
enfante jalouse de l’indifférence
la bouche étonnée t’entend
même si tu t’es cachée
dans une de ces usines abandonnées
dans un de ces ermitages surpeuplés

Mare de mes rêves

Mare de mes rêves
Ame soeur perdue sur les pavés
Tes yeux sont bruns comme du café
et verts comme de l’absinthe
et noirs comme le ciel
 
Mare de mes rêves
 
Je t’ai trouvé
dans une ruelle triste
de Trieste
pendant une nuit vide
et chaleureuse
 
Et j’ai bu de ton jus salé
 
Mare de mes rêves
 
Le matin une brise vénitienne
nous a effacée

Ma démarche

Ma démarche
est attirée par un pôle
qui n’existe pas
est consommée par une flamme
qui ne brûle pas
est dévorée par une bouche fermée
et ressemble aux mots perdus
dans le réseau téléphonique
dans les serpentins de la ville
 
Ma démarche est hésitante
et lente et se poursuit
sur un chemin sans lignes
 
Elle
est un souffle au bout de la nuit
un griffon au fond des mes rêves
un soleil sur le ciel des mes cauchemars
 
Ma démarche finira sûrement
dans les baisers d’une main pâle
qui aura dévoilé mes illusions
et mes espoirs

Les silences et les mystères

Les silences et les mystères
de ma ville
s’étalent devant moi
comme un livre fermé
qui ne s’ouvre que lentement
 
Ses pages
une par une
forment un monde
ni clos ni ouvert
forment un monde
continu, gris et gai
forment un labyrinthe vert
dont les chemins sont décorés
avec le bruit
des machines inconnus
et avec les images
d’un temps évanoui

Toi ma guitare qui repose

Toi ma guitare qui repose
sur les montagnes de ma chambre
 
Je ne te sais pas jouer
 
Je n’ai jamais su
comment glisser ma main sur tes cheveux
 
Pour sortir ta voix
 
Toi ma guitare qui repose
sur les montagnes de ma chambre
 
Je n’ai pas appris de te vivre
de te rendre ivre
de me soumettre à ton chant
 
Et quand je te regarde
 
Tu pleures d’être endormie
 
Toi ma guitare qui repose
sur les montagnes de ma chambre
 
Tu ressembles à ma vie
 
Qui comme toi
est tombée dans une pièce blanche
pour se perdre sur un sommet

La cicatrice du soleil

La cicatrice du soleil
éjecte de la lumière qui se perd
sur les couleurs de ma maison
 
Le chapelier enchanté se moque
des ombres qui tombent
sur ses enfants humides
couchés dans la cour
et se moque des chaussures
qui reposent sur les pierres
encore dormantes
 
La cicatrice du soleil
découvre les briques
malades et fatiguées
les pavés en bois
décorés par le temps
les fenêtres cassés et cachées
derrière des visages de fleurs
 
La lumière est un tapis décoratif
pour les farceurs du jour
et un besoin mortel
pour les obsédés de la ville

Fantaisie

Fantaisie
 
Voix douce que j’entend
d’où viens-tu ?
 
Un murmure amoureux
d’une jeune femme
ne pourrait pas être plus beau
que la vibration de ton souffle
 
Fantaisie
 
Voix douce que j’entend
 
Voix secrète des escaliers
et des vieux murs
 
Voix d’un lac
et voix d’un visage muet
 
Fantaisie
 
Touche moi avec ta langue
caresse moi avec les doigts de ton soupir

Enfouis-toi liberté

Enfouis-toi liberté
 
Enfouis-toi avant que l’on t’attrape
 
Mais nos mondes sont trop petits
et les hasards sont trop fréquents
pour être vrais
pour t’offrir l’asile nécessaire
 
Enfouis-toi liberté
prisonnière de mes doutes
 
Même si mes frontières
sont des serrures inébranlable
 
Jeu répétitif de mon espoir
dépasses ces murs
pour détourner la logique du dénouement
pour inverser les miroirs
pour finir avec mon errance contrôlée

Cintra

Cintra
 
Quand je rêve de toi
de tes montagnes
de tes forêts
de tes palais
de ton soleil vert
et de tes têtes en marbres inachevées
 
Je me sens coupable
de ne pas être une pierre
d’un de tes corps
de ne pas être une fenêtre
d’une de tes faces
de ne pas être un grain de sable
sur la pâte d’un de tes chats
 
Cintra
 
Quand je rêve de toi
 
Mon âme se retrouve
dans une de tes ruelles
perdue comme un ange dans le paradis
perdue comme un diable dans l’enfer

Tajo Danube

Tajo Danube
fleuves qui m’emportent
dans l’oubli dans le fini
fleuves sur lesquelles mes yeux
flottent comme des Titanics
 
Sur vos rives poussent
les fleurs en pierre
qui font le monde
de mes rêves
et le monde
de ma vie
 
Tajo Danube
le Bairro Alto et sa sorcière verte
le cimetière des sans-noms
et ses Jésus argentés
vous saluent comme des vieux amis
me saluent comme des parents
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